Je dépose mon rapport de mission sur le bureau de la secrétaire administrative qui me regarde avec un air dépité. Ce n’est pas comme si j’avais trois jours de retard. Pressé par Eobard qui détestait se faire relancer par les bureaucrates , j’avais finalement mit un point final au récit de ce qui s’était passé contre les pirates. Combien de temps j’avais passé à me remémorer les événements des souterrains. Swann avait obsédé mes pensées jusqu’à la fin du travail. Je lâche un petit sourire gêné à la fille, promettant que ça n'arrivera plus. Sourire de façade, parce que dans le fond, les derniers mots prononcés à Swann sur cette foutue planète étaient une invitation à discuter.
Le stress et l’excitation avaient vite laissé place au désappointement de ne pas avoir de retour de sa part. Swann pouvait dénicher n’importe qui n’importe où sur ce vaisseau. Les membres de l’empire en avaient fait les frais. J’avais bien imaginé aller la surprendre mais son ancien bureau n’était plus attribué à son nom, et le mec qui m’avait vu buguer devant m'avait congédié d’un petit geste dédaigneux de la main. Toujours ces officiers et leurs airs pompeux. Va donc agiter ta main et tes galons devant les pirates va.

Je referme la porte et me demande à quoi vaquer aujourd’hui. Peut-être que Mal voudra aller boire un coup, ou Eobard s’entraîner. Quelque part je m’en fous, je me fais petit à petit à l’idée que l’adrénaline du moment était la seule raison pour laquelle Swann ne m’avait pas repoussé, et ça fait mal. Bien sûr j’ai déjà aimé. Mais rien comparable à l’incompréhension totale de l’impact qu’à réussi à avoir l’agent Dixon sur moi. Elle est juste entrée comme ça, et c’est devenu impossible de concevoir qu’elle ne serait pas dans un coin de mes pensées un jour. Quand sa voix retentit derrière moi, je mets deux secondes à réagir, pas sûr que je n’étais pas sur le même fil de pensée.

Je souris à la réminiscence des centaines de fois ou elle m’a appelé soldat devant les gens, les habitudes sous couvertures ont la vie dure, et cela me réconforte. Le bouton pause a duré deux ans, mais c’est comme si on allait partir à la pêche aux infos et poursuivre chacun un but bien précis par la traque d’agents infiltrés. L’invitation est toutefois beaucoup plus intéressante. Swann n’hésite globalement jamais, c’est un peu le patient zero de l’actrice qui sait jouer l’assurance. Pourtant elle hésite quand elle me parle et je peux presque sentir qu’elle a vécu le même stress sur les jours qui viennent de passer.

“Heuu, oui bien sur.” Je regarde ma montre pour checker l’heure et reprendre pied avec la temporalité de cette journée. “On peut aller déjeuner si tu veux. Je connais un endroit cool”.

L’endroit cool, je l’avais découvert deux jours plus tôt. Passer de deux ans d’isolement à une foule bruyante et insouciante avait été trop d’un coup, et en quête de me réacclimater à tout ça, j’avais cherché un moyen de manger plus tranquillement. Je prenais donc mes repas sur un snack rapide tenu près des départs navettes et montait après sur les passerelles qui permettaient aux techniciens d’intervenir. Aux heures des repas c’était toujours très peu fréquenté et plusieurs espaces de jonction permettaient de s’y asseoir et de profiter de la vue de l’espace, un peu comme un oiseau perché dans son nid.
Les mécanos avaient déjà partagé avec moi deux toris repas, et ils m’avaient passé leurs bons plans, on pouvait se servir dans les caisses du fond pour prendre des coussins.
C’est le cheminement sur lequel je guida Swann et vingt minutes plus tard, nous étions armés de plats chauds, perchés au-dessus des navettes. Je préférais lacher la cocotte minute, aussi, dès ma première fourchette avalée, enfin la contenu, pas la fourchette, je demande

Tu veux que l’on parle du baiser ? ”

Le bout de poulet s'échoue six mètres plus bas, avec un ploc à peine audible. Je le suis des yeux, sans vraiment comprendre ce que je viens d'entendre. La fourchette en l'air, la bouche entrouverte, je dois avoir l'air parfaitement idiot, il aura fallu quatre mots de Swann pour me transformer en poisson rouge hors de l'eau. La réactivité cela reste cependant un point qui ne m'a jamais fait défaut. Je pose mon plat à côté de moi et fixe cette fille qui a occupé mon esprit si longtemps. Tellement longtemps qu'elle aurait été en droit de s'inscrire comme locataire.

"J'ai réfléchi au millions de fois où j'oserais te dire ça. Pour une raison qui m'échappe, c'est devenu plus facile de mettre ma vie en danger que de risquer de la passer loin de toi si tu ne ressentais pas comme moi.” Et puis il y avait eut la prison, Grimms, j'avais essayé, dans la cellule ce jour là, mais qu'est ce que j'aurais pu lui offrir à part des visites à travers des barreaux et des promesses fumeuses que je sortirais un jour pour elle. C'est probablement la première fois de notre vie que nous sommes seuls, sans danger, avec le temps devant nous pour mettre à plat les choses. Et les choses qui bloquent sont toujours les mêmes. Il ne se passe pas un mois sans que les risques de blessures, de mort, de trahison ne se pointent, comme si on étaient des aimants maudits. Ou des amants maudits, pour le coup.
Et elle a raison, il y aura très probablement quelque chose qui viendra bientôt, nous empêcher de vivre les choses ensemble simplement, pas comme les autres qui commencent leur journée et la finissent de la même manière depuis vingt ans, font des gosses, s'installent dans une maison et vivent vieux et heureux. Avec ce parcours, c'est un record qu'on soit encore tous les deux là, et c'est déjà vieux.

"La première fois qu'on s'est rencontré, je t'ai menti de but en blanc, et j'ai continué à le faire des mois. Quand je t'ai retrouvé à ma sortie de détention, je t'ai menti. Aujourd'hui je n'ai plus aucune raison de le faire, et avant de te répondre correctement, je veux te dire ce que je pense vraiment.” Bon, on inspire un coup, et c'est parti pour risquer de perdre la personne qui me manque dès qu'elle sort de mon champs de vision.

"J'ai peur de ce que ça peut impliquer, nous. Depuis que tu me connais, j'ai amené le risque à ta porte. On a failli nous faire torturer, mourir, finir notre vie en prison, nous faire expulser de cette flotte... Tu as perdu le fruit d'années de travail, t'es mise en porte à faux avec ta famille... J'ai littéralement détruit pièce par pièce ce qui construisait ta vie Swann. Et tu l'as dit, avant qu'un truc vienne nous en empêcher. J'ai l'impression que tout ce que je suis capable de t'apporter c'est des emmerdes. Et le pire dans tout ça, c'est que j'ai envie de prendre le risque alors que je sais parfaitement ce que cela implique.”

Ca, c'est ce qu'on appelle se vendre et séduire. GG Charlie. Rien qu'à la regarder réfléchir à ce que je dis, croiser son regard, la sentir si proche que je pourrais à nouveau l'embrasser simplement en me penchant, j'ai envie de me taper pour ne pas avoir profité de l'occasion pour juste lui dire je t'aime aussi.
Swann c'était la ligne de vie qui te sécurise dans une descente ne rappel. Depuis le début je m'en étais rendu compte. Elle savait gérer les autres, gérer sa vie, nous épargner des galères bien pire que ce qu'on aurait pu vivre, m'avait supporté et accompagné bien au delà de ses attributions, enfreint des ordres martials et des lois pour me suivre. Sans elle, il y a longtemps que le précipice m'aurait engouffré. Ce n'était pas possible de la perdre, et pourtant, qui était sa ligne de vie, à elle ? Moi ? Oui je lui avait sauvé la vie au moins autant de fois qu'elle ne l'avait fait pour moi, mais elle n'en aurait pas eut besoin tout court si elle ne m'avait jamais rencontré. Elle aurait encore son bureau bien rangé, son statut d'officier, une importance auprès des autres de la flotte. Maintenant elle portait un flingue et elle cassait des gueules mieux que moi. Bravo Charlie.

"Je n'attends rien de toi pour la suite. Je comprends si tu souhaites t'épargner bien des ennuis pour la suite.” J'inspire un coup avant de me jeter dans le vide, enfin, pas pour faire comme mon morceau de poulet, de façon métaphorique. C'est le moment ou jamais de voir si ma ligne de vie restera ou pas. "Si tu es prête à affronter quoi qu'il se passe pour la suite avec moi alors... Je t'aime Swann.”

Les pièces du puzzle, après quatre ans à lutter l'un à côté de l'autre, puis l'un séparé de l'autre se mettaient finalement en place comme si les partitions de la musique étaient enfin complètes. Je regarde Swann, perchés tous deux dans notre vigie, le reste à tout bonnement disparu. Lorsqu'elle pose sa nourriture (je ne sais pas pourquoi, je note dans un coin de ma tête que si elle n'a plus faim je pourrais peut-être y finir plus tard)  pour venir plus prêt et m'effleure le visage, j'ai l'impression qu'elle va me faire passer la pilule gentiment du tu as raison, c'est trop dangereux, mais on reste amis, c'est bien aussi.

C'est tout l'inverse, et je tiens tant bien que mal mon mal en patience pour la laisser finir avant de prendre sa main qui parcourait ma joue. Je n'avais aucune idée de ce qui nous attendait maintenant mais la détermination que je lisais dans son regard ne faisait aucun doute sur la conviction qu'elle plaçait dans ce qu'elle venait de dire.

"Et bien agent Dixon, les ennuis n'ont qu'a bien se tenir” Je lui souris, pour de vrai, sans non dits, sans passé ni futur, avant de me perdre sur son visage. Cette fois-ci, pas de bombes, pas de pirates armés, juste une promesse scellée par l'intimité d'un échange. C'est comme si toutes mes barrières, les défenses de chacun n'avaient plus de raison d'exister et que seul l'instinct pouvait dire si c'était la bonne décision. Je n'avais aucun doute sur la réponse, à la fin de ce temps suspendu, Swann serait jusqu'à ma mort, la vraie cette fois, l'autre bout de moi. Qu'est ce qui avait pu amener un destin comme le mien à avoir autant de chance. Toute ma vie j'avais calculé le moment ou je partirais en coup d'éclat pour libérer mon camp, et maintenant, aucune raison ne me paraissait valable pour risquer de perdre Swann. Ses yeux semblaient sur l'instant être la réponse à tout, même si je savais que les temps à venir promettaient d'être tout aussi difficiles. Ils le seraient à deux.

Mon regard est attiré sous nos pieds quand je vois passer au loin Jahel avec un drôle de type aux cheveux blancs/gris mi-longs que je n'ai jamais vu (que faisaient ils dans l'aile des pilotes?)

"Qu'est ce qu'on va faire pour les autres? Ca va pas faire bizarre que tu sortes avec un soldat qui est arrivé officiellement il y a deux semaines ? ... remarque, c'est moins pire que de sortir avec un ressuscité.”

Je blague, mais dans le fond, j'ai le souvenir des discussions qu'on avait eut il y a deux ans sur son père sur le prométhée. Swann connaissait du monde ici, bien plus que moi. Cela faisait vraiment bizarre de se sentir à la fois à sa place pour la première fois de sa vie, et à la fois comme un élément surprise dans une vie bien rangée.

Perchés comme cela, sur le toit d'un monde au sein duquel personne ne pouvait nous rejoindre, j'écoutais Swann faire voler mes doutes les uns après les autres, les balayer de ses lèvres sur les miennes, de ses mains qui semblaient vouloir redessiner mon visage comme si elle essayait de le mémoriser. Je casse le peu de distance qui nous reste en l'attirant de manière à ce qu'assise sur mes jambes, je puisse lui faire face.

Le prochain qui se dressera entre le petit nouveau et toi aura intérêt à être accroché en tout cas, il ne compte pas te rendre ton célibat d'ici tôt. Je ponctue d'un petit coup de nez sur le sien. Peu habitué aux marques d'affections en général, c'était tout différent avec Swann. Mille fois j'avais retenu mes mains de lui attraper la main, la serrer dans mes bras autrement que pour la protéger d'un coup ou plus récemment d'une grenade. Juste pour dire, je suis là, je te vois, je t'aime.

Bien que des heures auraient pu se passer ainsi, et que je sentait clairement mes sens commencer à se brouiller par la chaleur de son corps contre le mien, le bip situé à ma ceinture nous tira de notre calin. Je soupire pour sortir le petit écran. Allons bon, une nouvelle mission, déjà ? Autant j'avais été pressé de ressortir, autant j'aurais bien passé les dix prochaines heures sur cette passerelle avec Swann.

C'est Eobard, on est appelé à un briefing. Je soupire avant de me replonger dans les yeux de l'agent de l'Ara qui avait bousculé tous mes plans au moins autant que j'avais bousculé tous les siens.

Hum... quand je reviens, tu seras là? C'était bizarre d'avoir une conversation de couple normal. Nous n'en n'étions pas au stade de "j'ai laissé les clés sur le buffet" mais le simple fait qu'au moins un élément de cette vie, la mienne, serait là à mon retour, c'était déjà énorme. Et j'avais hâte d'explorer chacune des étapes à venir avec elle. Je désigne du doigt le plat qu'elle avait laissé de côté:
Tu le veux ?