C'est l'un des plus gros changements par rapport à ton ancienne affectation : tu quittes désormais régulièrement la sécurité du vaisseau. C'est tout ce que tes parents ne voulaient pas, tu soupçonnes d'ailleurs ton père d'avoir désormais une sacrée dent contre Grims et de ton côté, ton supérieur et recruteur à cessé de t'effrayer. Tu as finalement compris que tout ce qui le représentait n'était finalement qu'une aura instaurée et bien entretenue visant à impressionner les autres, si le don qu'il a pour flairer le mensonge est indéniable, le mythe de cet agent qui semblait tout savoir comme s'il était omniscient à finit par s'effriter au cours de ces deux dernières années. Tu sais surtout à quel point Grims n'est pas forcément de confiance. Oh, oui, il est loyal à l'Alliance, c'est un fait, mais il est aussi prêt à tout pour arriver à ses fins, même si cela signifie qu'il doit utiliser des vies humaines comme les pions d'un jeu. Aujourd'hui, tu es plus que consciente des manipulations qui peuvent exister au sein même de l'Alliance, tu en as un temps été la victime et si tu t'en es finalement bien sortie, ce n'est pas le cas de tout le monde.

L'image de ce dossier déposé sur un bureau te hante, tu te souviens t'être penchée dessus pour satisfaire ta curiosité habituelle et presque maladive, et tu te souviens surtout y avoir lu l'identité d'un homme que tu savais depuis longtemps sur le fil. Charlie était innocent, à tes yeux, il a simplement été sacrifié et c'est une chose que tu as du mal à accepter, une pilule que tu n'avaleras probablement jamais complètement. Tu redoutais que ça puisse arriver, la dernière fois que tu avais vu Charlie, il était enfermé dans l'une de ces cellules infâmes, le visage parsemé d'ecchymoses, il avait refusé que tu puisses t'en mêler, il avait émis le souhait de s'en sortir seul. Et puis, il avait changé de section dans la prison, et une barrière infranchissable s'était dressée entre vous, on t'avais dit que tu ne le reverrais plus, mais tu avais continué de nourrir l'espoir qu'il puisse un jour être libéré. Après deux années, il avait finalement trouvé la mort dans ce trou à rats, au milieu des criminels, l'apprendre, et surtout l'imaginer avait été un crève-cœur.

Tu avais refusé que Grims puisse ouvrir la bouche sur le sujet, il avait évidemment remarqué ton trouble du moment, ton état de sidération, mais aussi avait-il probablement senti cette rage, cette colère qui grondait en toi depuis deux semaines désormais. Tu ne voulais pas entendre ce qu'il avait à dire, tu ne voulais pas l'entendre dire le moindre mot au sujet du soldat Turner … Tu craignais probablement de sortir de tes gonds, et de lui cracher au visage si tu le laissais faire. Mais tu devais continuer à travailler, Swann, tu ne pouvais pas simplement nourrir cette rébellion sourde et inutile dans ton coin, tu avais des devoirs et des obligations, celui de prendre part aux missions qui t'étaient assignées, par exemple.

La situation devenait critique, ces deux dernières années, les attaques de pirates avaient été nombreuses et la perte de deux vaisseaux face à une flotte inconnue avait plongé l'ensemble de la flotte dans un stress et une inquiétude constante. Il fallait des réponses, et pour cette raison, si l'exploration est reléguée au second plan, l'ARA de son côté est active. La planète sur laquelle tu te rends aujourd'hui est une planète habitée, censée être fidèle à l'Alliance, pour autant des soupçons pèsent, des pirates y seraient bien installés depuis quelque temps et c'est donc l'occasion de se faufiler pour tenter de découvrir qui finance ces criminels.

Secoué dans la navette, au beau milieu de soldats lourdement armés par rapport à toi, plus neutre, tu soupires. Tu connais désormais ton travail, et tu as été formée aux risques qu'il représentent, non Swann, tu n'es plus l'Agent de Liaison sans défense ou presque que tu as pu être, Grims s'est assuré que tu saches prendre soin de ta propre vie avant de t'envoyer en roue libre sur le terrain. Pour autant, tu n'es jamais parfaitement à l'aise en mission extérieure, ça ne fait que deux ans, mais quelque chose te dit que tu ne t'y feras certainement jamais. Pour autant, tu ajustes ton équipement avec soin alors que la navette se pose à terre … En premier lieu, il s'agit simplement de faire un tour, ce qui ne devrait pas être le plus compliqué.

Tu observes les soldats de l'escouade Tallart qui sortent, un à un, en file indienne de la navette et tu ne peux retenir un soupir léger. Tu ne comprends toujours pas Grims à mis une escouade complète de soldats sur cette mission, certes tu as l'habitude d'être accompagnée, tu es encore une jeune recrue pour l'ARA, ton expérience est pauvre et il serait trop risqué de t'aventurer seule sur une planète, peu importe qu'elle soit alliée ou non, mais de ton point de vue c'est trop et surtout trop peu discret. La Tallart n'est pas réputée pour faire dans la dentelle, ce sont de bons soldats mais ils sont tous taillés pour un tout autre genre de travail. Et puis … Tu maudis le fait que ce soit cette escouade en particulier qui soit là, avec toi, parce que ça te rappelle encore une fois que l'un de leurs anciens camarades à perdu la vie de façon bien injuste. Etrangement, tu te mets à compter les soldats, un à un, tu t'attendrais presque à ce que la place soit vacante mais évidemment ce n'est pas le cas, l'escouade est complète, comme s'il ne manquait personne.

Tu te détournes des soldats finalement, le Lieutenant Tallart approche pour s'entretenir avec toi quelques minutes, il a sa façon de faire les choses, c'est un soldat respecté alors tu acceptes sans broncher les quelques règles de sécurité qu'il impose, peu habitué à travailler avec toi, finalement. « C'est entendu, Lieutenant. Mais je vous rappelle que cette mission doit se dérouler le plus calmement, et le plus discrètement possible. » Dans son regard, tu lis le même genre de réflexion que tu as pu te faire : ce n'est assurément pas leur fort, mais ils feront au mieux, de cela tu ne doutes pas une seconde. « J'aimerais autant que nous ne pénétrions pas le village dans cette … configuration. Votre équipe est trop voyante. » Tu as besoin de poser des questions, de prendre des renseignements, de sonder les gens et tu ne pourras certainement pas le faire si tu es suivie de près par une dizaine de soldats cachés sous leurs lourdes armures et armés jusqu'aux dents.

Finalement d'accord sur le déroulement global de la mission, tu te mets finalement en route à la place désignée par Tallart, tu marches, te forçant à prendre le rythme soutenu des soldats, et si tu ouvres l'oeil, évidemment, tu échanges aussi quelques mots avec la fille du Lieutenant qui se trouve à tes côtés, c'est la plus jeune dans cette équipe, probablement la plus accessible aussi. L'endroit est tranquille, c'est une planète sans histoire, un peuple humain qui n'est pas très axé sur la technologie, la population n'est pas bien dense sur cette planète, les hommes et femmes qui vivent ici sont en réalité les réfugiés d'une planètes devenus inhabitable avec le temps et que l'Alliance s'est efforcé de déplacer pour leur survie. Normalement, ils sont fidèles à leurs bienfaiteurs, tu ne vois d'ailleurs pas pourquoi ces gens auraient changé d'avis à ce sujet … Seulement, il est possible que des pirates aient eu l'idée de se cacher par ici, l'idée est de découvrir si c'est le cas, ou non, en passant en ville pour analyser la situation. Tu es douée, pour ça, tu sais voir quand quelque chose ne va pas, tu l'étais déjà avant de rejoindre l'ARA d'ailleurs, mais Grims a fait en sorte d'approfondir ce talent.

Le chemin jusqu'à la petite ville se passe sans encombre. Aux abords de cette dernière, tu sais que c'est le moment pour toi de faire ce que tu as à faire, et d'un regard, tu rappelles à Tallart que tu ne pourras pas le faire avec son équipe dans les pattes. Et si tu pensais qu'il te laisserais faire ton boulot tranquillement, finalement, il annonce qu'il est hors de question que tu ailles seule en ville … Et il te rappelle habilement que si des pirates sont bel et bien dans les parages, tu ne seras pas de taille à t'en sortir seule, à moins d'un gros coup de chance. Il a raison. « Un seul soldat. » C'est déjà gros, compte tenu de leur allure impressionnante, mais tu peux comprendre la démarche. De fait, tu viens attraper le bras d'un soldat, un peu au hasard dans le groupe que tu entraînes à tes côtés, te hissant sur tes pieds pour lire le nom sur son armure lourde. « Voilà. Euh … Ackermann va venir avec moi. Vous êtes d'accord Ackermann ? »

Le visage du Lieutenant Tallart prend subitement une drôle d'expression, il fixe son soldat quelques secondes et tu plisses les yeux en observant son manège comme si tu savais qu'il y avait là quelque chose à relever et à comprendre … Seulement, tu n'as ni le temps, ni l'envie de partir dans des suppositions, et tu mets finalement son attitude sur le compte du fait qu'il n'est pas d'accord avec ta façon de faire, peut-être contrarié du fait que tu lui imposes quelque chose aussi. Dans tous les cas, il finit tout de même par abdiquer, par détourner les yeux en assurant que lui et le reste de son équipe seront installés en poste à l'endroit où vous vous trouvez actuellement et qu'il te suffiras d'un signal clair pour leur faire comprendre que tu as un problème dans le cas où les choses tourneraient mal.

Lorsque le Lieutenant se détourne pour distribuer ses ordres, tu te mets en route sans un mot, le soldat choisi au hasard sur les talons. Tu te rends compte, maintenant que tu y es que ton choix s'est fait dans la précipitation et sous l'effet d'un agacement certain en voyant Tallart tenter d'imposer son équipe au complet au sein de ce village, tu as pris le premier soldat tout proche de toi pour illustrer ton propos, mais si tu avais pris le temps d'un minimum de réflexion, tu aurais choisi d'emmener la fille du Lieutenant avec laquelle tu as un contact plus facile. Il faut dire, Swann, que la discipline militaire est une chose avec laquelle tu as toujours eu un peu de mal, si tu as appris à être formelle et à imposer le respect en tant qu'Agent de Liaison, tu sais aujourd'hui que tu n'es qu'un Agent parmi tant d'autre … Tu as du respect pour les grades qui te sont supérieurs, mais soyons honnête, tu es bien trop ouverte aux autres pour te contenter du silence le plus total durant les temps calmes et morts d'une mission. Avec Ashlynn, tu aurais probablement discuté de tout et de rien durant les quelques minutes de trajet, tu aurais aussi eu plus de facilité à exprimer ce que tu attends ou pas de la compagnie d'un soldat mais dans le cas présent, tu as à faire à une véritable tombe. Oh, un soldat exemplaire, sans doute, qui ne fait que marcher, droit et régulier.

Peu importe, tu subis Swann, et une fois arrivés tous les deux au cœur de la petite ville, tu te mets à regarder autour de toi, repérant les bâtiments, les endroits où tu pourrais entrer, où tu es susceptible de pouvoir rencontrer des gens intéressants … Il faut savoir qui interroger avant de poser des questions, c'est une manière de ne pas perdre de temps. Si tu passes de trop longues minutes à interroger des passants isolés qui ne savent probablement rien de ce qui se passe en ville, tu seras repérée, les gens vont se braquer. En revanche, si tu choisis bien l'endroit où tu poses les questions, dans un bar par exemple, une auberge, un lieu de passage et de rassemblement, tu auras plus de facilités. Et c'est le soldat qui te met sur la piste d'un bon départ … D'un geste, il indique un groupe d'hommes accoudés chez un ferrailleur. La ferraille, c'est quelque chose de particulièrement recherché par ceux qui sont de passage sur une planète, des bouts de vaisseaux pour effectuer des réparations de base, une aubaine pour des pirates qui auraient eu à subir des dégâts, par exemple.

Alors que tu approches, que tu t'installes à ton tour accoudée au stand et faisant mine d'observer la ferraille, le soldat vient s'installer dans ton dos, comme un bouclier intimidant. Tu as tout l'air d'une femme qui a de l'argent, assez pour se payer une garde lourdement armée et pour le coup, c'est un avantage puisqu'immédiatement on s'intéresse à toi. Oh, le vendeur est prêt à te trouver tout ce que tu désires Swann, et tu sais d'avance que si tu étais là pour sa camelote, il gonflerait sûrement ses prix de manière atrocement exagérée. C'est le moment de baratiner, tu prends un drôle d'accent, une manière de parler qui pourrait ressembler à celle qu'aurait une femme fortunée qui à le cran de s'aventurer dans le coin. « C'est de réponse et d'information dont j'ai besoin … Si vous avez cela en stock, il se pourrait que je sois disposée à payer. » Ca alors. De l'argent facile, s'il a les réponses que tu cherches. Il pourrait se faire pas mal de crédit, tout en conservant sa ferraille qu'il pourrait revendre à côté, tu lui offres une occasion en or, encore faudrait-il qu'il ait de quoi te renseigner. « L'offre est alléchante, n'est-ce pas ? Toutefois, ne vous avisez pas de me mentir, je vérifierais, et l'homme qui se tient derrière moi à les moyens de détruire définitivement vos affaires, si vous vous avisez de me flouer. » Être menaçante s'avère finalement la solution que tu préfères, le contexte est posé : tu as de l'argent, oui mais aussi du pouvoir et de l'influence, les moyens d'envoyer un ou plusieurs hommes lourdement armés venger un affront qui pourrait t'être fait. C'est une assurance que tu prends sur le dos du soldat. « Mon ex-mari est parti avec une chose qui m'appartient … Une chose précieuse. Je veux la récupérer. Il aurait intégré un groupe de pirates il y a quelque temps, et le bruit court que ce groupe serait dans les parages. Je veux savoir où les trouver. » L'homme s'éloigne, te fait signe de patienter pour semble t-il aller lui-même poser des questions, où … autre chose, tu n'en sais rien, cependant, tu vois bien son manège et ignorant ce qu'il manigance, ou prépare, tu préfères te pencher légèrement en arrière. « Restez sur vos gardes … J'ai un mauvais pressentiment. »

Ce sera tout, ou rien. Parfois, prendre des risques et manquer de subtilité est un passage nécessaire, tu joues la carte du mensonge sachant que tu n'es pas la dernière quand il s'agit de jouer la comédie, et lorsque l'homme s'éloigne, tu sais que c'est le moment où tout va se jouer. Soit tu t'es adressé au mauvais cheval, et dans ce cas, il risque de déclencher une réaction en chaîne que ni toi, ni le soldat à tes côtés ne serez en mesure de contenir. Soit, il va simplement t'offrir sur un plateau d'argent les informations que tu cherches contre une petite somme de crédits, ce dernier cas serait idéal, il te suffirait alors de tourner les talons et de quitter la petite ville, la suite ne serait plus de ton ressort.

Oui mais voilà, alors que tu te penches en direction d'Ackermann pour lui faire savoir de se tenir prêt, au cas où, tu sembles comprendre que les choses vont mal tourner, tu lis de la peur dans les yeux de l'homme que tu viens d'interroger, soit il est de mèche avec les pirates, soit il a les pieds et poings liés. Dans tous les cas, tu comprends à son expression que tu viens littéralement de mettre un coup de pied dans une fourmilière. En quelques millièmes de secondes seulement, les choses dégénèrent, l'homme que tu viens d'interroger braque une arme dans votre direction et la fusillade commence, les balles fusent tout autour de toi alors que le soldat, nettement plus protégé que toi sous son armure lourde se place devant toi, comme bouclier.

Rapidement, tu te rends compte que tu ne comprends plus tellement ce qui se passe, ton arme de poings à la main, tu ne parviens même pas à obtenir un angle pour tirer ne serait-ce qu'une seule balle, c'est le soldat qui s'occupe de se débarrasser de chaque homme, chaque pirate finalement, qui oserait s'approcher de trop près. Rapidement submergés, ça ne vous empêchent cependant pas de vous retrouver acculés, tous les deux, au centre d'un attroupement … Vous voilà fait comme deux rats pris dans un piège ensemble. L'espace d'une seconde, tu penses aux deux grenades que tu trimballes, elles pourraient aveugler tout ce beau monde et vous permettre de vous faufiler mais c'est un risque, et surtout, tu n'es pas équipée pour te permettre de lancer une telle grenade, tes yeux en souffriraient autant que les leurs… Et puis de toute manière, tu es prise de vitesse, une grenade roule dans votre direction, tu entends la voix robotisée par le casque du soldat qui te demandes de lever les mains, tu ne comprends pas bien pourquoi il s'excuse après ça et puis, ça explose et une nouvelle fois, il tente de te protéger.

La suite est un amas d'images floues, de sons incohérents, d'éclats de voix, de douleur. Tes oreilles sifflent si bien que durant un moment tu penses être devenue sourde, tu as l'impression que ton corps entier est douloureux et lorsque tu ouvres les yeux, l'air est chargé de poussière si bien que tu tousses à plusieurs reprises. Tu ouvres et fermes les yeux plusieurs fois, le mal de tête s'est installée, sans doute en grande partie à cause de la détonation et du choc … Et puis tu tournes la tête en direction du soldat, attaché tout près de toi. Si tu as été rapidement débarrassée de ton équipement, de tes armes, le soldat a été délesté de son armure et de son casque. Si toi, tu es attachée sur une chaise métallique ancrée au sol poussiéreux, lui est accroché par les poignets à l'une des solides poutres de la bâtisses … Il semble reprendre ses esprits à son tour, tourne la tête dans ta direction. Et c'est là que tu commences à te poser des questions quant à ton état. Aurais-tu pris un coup sur la tête, Swann ? Charlie Turner est mort, et pourtant, c'est son visage que tu vois, c'est lui qui se trouve là, à l'endroit où devrait se trouver le soldat Ackermann. Tu ne dis rien, pas un mot, tu grimaces en réalité, tirant un peu sur tes poignets solidement attachés dans ton dos. Tu ne te sens pas si mal, mis à part cette illusion douloureuse qui se trouve à tes côtés, et d'ailleurs tu fais en sorte de tenter de t'assurer ce n'est bel et bien qu'une folie de ton cerveau en tournant à nouveau la tête … Même constat.

C'est au prix de bien trop de questionnements, et au sacrifice d'une partie de ta fierté finalement que tu te décides à ouvrir la bouche. « … Charlie ? » C'est simple, Swann, si tu es devenue folle, tu vas te heurter à un mur, à un soldat qui ne comprends pas le moins du monde ce que tu racontes, et qui te demanderas de te ressaisir. Si c'est la réalité … Et bien tu en auras rapidement le cœur net et si ce n'est qu'un rêve, ou quelque chose dans le genre, ça n'engage tout simplement que toi. Dans tous les cas, tu n'aurais pas oublié ce visage, et tu as beau continuer de le fixer, de l'analyser, c'est toujours lui que tu vois, ce sont ses traits, ses yeux, et tu n'attends à rien d'autre qu'à entendre le son de sa voix en réponse à tes interrogations. « Charlie c'est … bien toi ? » Aussi fou que cela puisse paraître, aussi impossible que ça puisse être de faire face à un homme mort.

Tu continues de te dire que tu es en train d'halluciner, que quelque chose ne va pas, que ton cerveau probablement malmené par la fusillade, l'explosion, est en train de jouer des tours. Charlie est mort, tu n'as pas vraiment de raisons d'en douter, et visiblement, tu ne parviens tout simplement pas à l'accepter. Tu te doutais que ça arriverait, le fait qu'il puisse disparaître avant de pouvoir un jour recouvrer sa liberté était une éventualité à laquelle tu avais déjà pensé avant de la repousser, tu ne voulais pas y penser, tu ne voulais pas croire que ça puisse réellement finir comme ça. Et puis, ce dossier était arrivé sous ton nez, et subitement, tous tes espoirs avaient terminé de s'effondrer.

Après deux semaines à ressasser chaque jour, tu essaies de te raisonner, de te dire que tu ne peux de toute façon plus y changer quoi que ce soit, tu as du travail et si tu perdais ça, tu finirais de t'effondrer alors ce matin encore, tu forçais sur toi-même, sur ton humeur et ton corps pour te porter, pour te concentrer. Tu es parvenue à rester focus sur cette mission, jusqu'à ce que l'image du soldat Turner apparaisse à tes côtés dans cette bâtisse poussiéreuse et que tu sentes cet élan de panique grimper en toi. Tu as l'air d'une petite chose fragile alors que tu articules son prénom, pour demander une confirmation que tu ne t'attends pas à recevoir … C'est dangereux, mais tu abaisses tes barrières et tu te montres trop vulnérable l'espace de quelques secondes.

Et puis sa voix retentit, et tu la reconnais sans le moindre doute, peu importe que tu ne l'as pas entendue depuis des années, tu ne l'as pas oubliée. Tes yeux s'ouvrent en grand sous l'effet de la surprise, mais rapidement, les traits de ton visage se font plus durs, ta gorge se sert, et un cocktail d'émotions dangereusement contradictoires et explosives vient s'emparer de toi. « Surprise ? SURPRISE ?! » Oubliant presque l'endroit où vous vous trouvez, de même que votre fichue situation actuelle, tu laisses échapper un peu de cette frustration. Tu penses ressentir de la colère, mais tu te rends compte aussi vite que ce n'est pas réellement ça … Tu tires à nouveau sur tes liens, avec plus de frénésie cette fois, et d'impatience tandis qu'ils te résistent et que tes poignets rougissent sous tes efforts répétés. C'est bien lui. Tu lui as manqué. Plus il parle, plus tu sembles perdre le contrôle et au bout du compte, mieux vaut pour toi que tu t'en tiennes à ses derniers mots et que tu te concentres sur le fait de sortir de ce trou à rat pour pouvoir te concentrer là-dessus ensuite. Sur … tout ça. Sur lui.

« C'est serré … mais c'est juste de la corde. » Rien de particulièrement résistant, une lame pourrait suffire à couper ces liens, ou même juste à les fragiliser. Tu essaies de bouger les pieds aussi, sans plus de succès de ce côté, et puis tu lèves le nez vers le plafond alors que des pas se font entendre, font craquer le bois des planches qui servent de plancher à l'étage supérieur de l'endroit. Et alors que tu sens la panique t'envahir à nouveau en comprenant que vous n'avez plus le temps d'élaborer quoi que ce soit, l'idée te vient de jouer à nouveau la comédie. « Comment t'as pu faire semblant à ce point ?! » Tu lances finalement, en haussant le ton de ta voix, prenant ce ton excédé que finalement, tu n'as assurément pas besoin de surjoué puisque si tu fais cela pour déstabiliser ceux qui sont en train de venir à vous - qui s'attends à se retrouver face à des prisonniers qui se chamaillent ? - force est de constater que la situation est … réelle et ressentie. « Je croyais que tu me faisais confiance ! Après tout ce qu'on a traversé tous les deux, toutes les galères, tout … tout ! » Deux hommes apparaissent dans la pièce, l'un soupire, l'autre te demandes de la fermer, tu l'entends mais tu ne l'écoutes pas et tu continues ton discours, ça ressemblerait presque à une scène de ménage. « T'as pensé à ce que je pouvais ressentir ? Tu pensais que ça me ferait rien du tout qu'on vienne m'annoncer ta mort ? Et t'as eu le culot de marcher à côté de moi pendant trente putain de minutes sans penser une seconde à me dire que c'était toi ? Et viens pas me sortir le coup des ordres ou j'sais pas quoi hein, je m'en fou complètement des ordres de truc ou de machin ! »