Elle réagit à tes provocations sur son âge, à cette manière inapproprié que tu as de vouloir l’appeler pour… pour quoi, au juste ? Lui prouver que tu lui es supérieur ? Ou que ses années de vie en plus ne représentent rien pour toi ? A moins que ce ne soit juste pour l’embêter… enfin, l’un dans l’autre, elle réagit et tu devrais rebondir dessus, mon vieux, mais la suite de votre discussion vient littéralement t’arracher un grognement. Tu oublies aussi vite tes taquineries pour prendre un air qui n’augure rien de bon. Tu es sérieux, Maleki. Sérieux et en colère. Et quand cette idiote te répond, c’est du dégout qui vient également se lier au reste parce que là, mon vieux, on touche à un point sensible chez toi. L’éducation, les moeurs et ce que les autres attendent de nous. Tu es libre et vois-tu, mon grand, ça t’est impensable que des gens se laissent enfermés par ce genre de gangue. Impensable. Intenable. Inexplicable.

C’est à peine si tu l’entends te rappeler que tu es un sale type. En fait, tu te concentres sur la suite de ses paroles et vraiment, mon vieux, ça allume une étincelle presque flippante dans tes yeux. Ceux qui te connaissent y verrait juste le fait que ça te touche au coeur et que t’arrives pas à prendre du recul et te taire. Pour elle, probablement que tu as l’air d’un gros crétin en train de juger ses mots et ses convictions avec ses gros pieds maladroit.

« Stupide ! Que tu claques après ses explications sur sa société et cette remarque sur l’amour impossible. Et dire que j’ai cru que tu étais douée d’intelligence et de force de caractère… Ca c’est un compliment dans ta bouche, et c’est encore plus bizarre que tu le reconnaisses à voix haute. Ceci dit, ça ne t’empêche pas de claquer ça sur un ton énervé. T’es quoi, au final ? Une princesse de Keinope ou Rayven ? »

Et franchement, tu comprends tout à fait, à l’intérieur de toi, que t’es en train de glisser sur un terrain vraiment miné pour toi. Y’a des raisons pour lesquels tu te mêles jamais de la vie des autres hein. Parce que toi, ça te prend aux tripes, au coeur, à l’âme, ce genre de connerie. Et quand tu le sais, tu te prépares et tu ignores. Le souci, tu vois, c’est que t’étais pas au courant et cette fois-ci, t’arrives pas à te taire, te retenir ou ignorer. C’est trop tard, elle a tapé là où ca boue chez toi.

C’est pour ça que tu la provoques à nouveau, que tu prononces ces mots qui ne devraient jamais être dans ta bouche. Et t’es sûr le point de t’en rendre compte, peut-être même reculer et balayer ça, mais elle réagit et tu te retournes d’un bloc vers elle, un rictus désagréable sur le visage.

« Je suis ami avec l’homme que j’ai aidé et qui m’a accepté comme j’étais en échange. Pas avec l’Archiduc de ta terre. Seul lui m’intéressait, pas sa politique ou ses croyances ! »

Alors pourquoi tu ne fais pas pareil avec sa fille, hein ? T’en sais rien pour le moment. Tu aurais tendance à croire que c’est parce qu’elle va faire partie de la team, que tu vas veiller sur elle et la guider, que ça change quelque chose. Peut-être. Peut-être pas… Avant d’avoir la raison, elle recommence et cette fois-ci tu craques. Deux pas, tu es sur elle. Ta main humaine se pose sur son épaule pour la retenir, l’empêcher de fuir. Les doigts glacés de métal, eux, soulève son minois sur toi et tu réponds, sans réfléchir, comme pour la sortir de ce moule de pensée qui te dégoute.

« Appartenir à un homme parce que ta naissance l’oblige ne te dérange pas. Alors que, dis-moi Ray, t’as choisi de naître dans cette famille, sur cette planete, à cette place ? T’as signé un contrat pour ça ? On t’a donné le choix de quitter la noblesse si tu le voulais ? Tu te penches vers elle, ton visage s’apaise, tes yeux eux, continue d’être des tempêtes d’électricités. Si t’acceptes les yeux fermés de te plier à ce genre de connerie, pourquoi tu refuserais de m’appartenir à moi, personnellement ? Si j’te dis que c’est comme ça que ça marche ici, que t’as signé ton papier pour t’enrôler et puis c’est tout ? C’est quoi la différence ? »

T’es bien trop proche d’elle, et tu continues d’avancer. Jusqu’à prendre l’ampleur de ton geste, Maleki, et la relâcher d’un coup, comme si elle t’avait brûlé. Tu recules, tu passes une main sur ton visage en marmonnant. Ca se voit que t’es pas dans ton état normal, vieux, mais sur le coup, t’es tellement dépassé que tu ne sais pas quoi dire. Tu dois t’excuser non ? En disant quoi, hein ?

C’est tellement la merde dans ta tête. Et y’a pas que dans ta tête. Il suffit de voir votre discussion, de l’entendre te répondre et d’imaginer ce que les gens penseraient de vos attitude, pour savoir que c’est mal barré. Et pourtant, Maleki, t’arrives pas à prendre du recul, à la planté sur place en l’insultant et retourner à ta petite vie.

« T’apprendras qu’on peut pas être deux choses. Tu souffles, sûr de toi. On est ce qu’on est, et on porte par dessus des masques. T’es idiote si tu crois pouvoir être les deux. »

Ca va, tu t’en tiens à ce “idiote”, parce que t’as pas d’autres mots. Tu pourrais, t’as un langage plutôt fleuri habituellement, mais non. Parce que tu ne peux pas t’empêcher de te dire qu’elle est coincée, qu’elle n’a jamais vu qu’elle pouvait se libérer, qu’elle a juste besoin qu’on lui ouvre une fenêtre pour qu’elle prenne son envol. En fait, pensé comme ça, on pourrait presque croire que t’es gentil, non ?

En tout cas, quand tu l’entends parler de ce type qu’elle doit épouser, de ce qu’elle en pense ou ressent sur elle, tu ne retiens pas un grondement écœuré. C’est tellement limpide, pour toi, qu’elle ne peut tout simplement pas accepter cette voie, si elle ne ressent rien, que tu ne comprends pas qu’elle puisse croire qu’elle ne sera pas “malheureuse”. Pourtant, tu ne réponds pas, alors qu’à la place tu viens l’attraper, relever son visage de ton doigt métallique vers toi. Et tu continues de t’enfoncer. Gravement.

« Parfois on est mieux seul »

C’est tout ce que tu arrives à souffler, quand elle répond, avant que tu ne recules brutalement. Et justement quand tu la lâches, quand tu prends conscience de ce que tu fais, de ce que tu serais prêt à faire pour la convaincre, tu te détournes. Il faut que tu fuis… voilà ce que tu te dis. Et elle, elle répond. Sauf que ça t’ennerve encore plus. L’envie de la secouer te transperce, mais tu refuses de revenir vers elle. A la place, tu te retournes d’un coup, et ta voix cogne dans l’air :

« Dis pas de connerie ! Si être exploratrice est ce que tu veux, je t’interdis de reculer pour quoi que ce soit… Ton regard s’assombrit. Encore moi pour moi. Si t’es pas capable de prendre ta liberté sur ta vie d’héritière, fais le au moins à la FEA. »

Ca n’a plus aucun sens, t’en es bien conscient, mais tu ne peux tout simplement pas te taire. Ca risque d’être compliqué entre vous. Peut-être qu’un jour, elle comprendra que tu fais ça pour elle, pour lui ouvrir cette fichue fenêtre même si t’as aucune raison de le faire. Sûrement qu’elle te détestera surtout. La tension dans tes épaules se relâchent finalement, alors que tu repousses tes cheveux en arrière, en soupirant.

« Oublie ce que j’ai dit à propos de m’appartenir, je voulais… Laisse-tomber. C’est tes excuses. T’es pas capable de mieux pour le moment. Je ne recommencerai plus, tu n’as pas à avoir peur. Tu finis par lui faire signe de venir sur le tapis d’entrainement. Tu veux me montrer de quoi t’es capable ou t’en as eu assez pour la journée ? »

Et en fait, ton ton est vraiment redescendu. Tu es plus calme, presque morne. La porte que tu lui ouvres, pour qu’elle s’éloigne de toi aujourd’hui est sincère, sans contrepartie ou punition. Tu sais que t’es allé trop loin, voilà tout.

Tu retombes. La colère reflue en toi, bien que ce sujet continue clairement de te brûler de l’intérieur. T’es pas le genre de personne qui va simplement accepter et se taire, sans ne plus y penser. Si tu te calmes, c’est uniquement parce que t’es allé trop loin et que d’une certaine manière, tu te sens honteux de ça. Tu sais clairement que tes émotions s’enflamment souvent bien trop facilement, que ta gestion et ta prise dessus ont fondu comme neige au soleil quand tu a reçu la nano-force. Ceci dit, ça ne t’empêche pas de trouver ses réponses stupides, de vouloir la changer. C’est peut-être parce que t’es un humain ?

Le truc, tu vois, c’est que tu recules, tu l’invites autant à te rejoindre qu’à te fuir, parce qu’elle a le droit de faire son choix vu ce que tu lui a imposé. Et si tu la vois se mettre en mouvement, tu entends sa demande d’attendre et te voilà à froncer les sourcils. T’es sur le point de lui demander si elle va te faire la morale, avec ironie, mais voilà qu’elle s’approche et ton corps remet une couche de tension. A quoi elle joue, au juste ?

La réponse arrive rapidement. Elle relance le sujet que tu as stoppé pour ne pas te laisser aller et lui faire peur, ou mal, ou… t’en sais trop rien. Ne pas dépasser une certaine limite probablement. Et te revoilà à frissonner parce que tu te rends bien compte qu’elle ne comprend juste pas ce que tu essaies de dire. Ce n’est même pas qu’elle est obtue ou bête, hein, mais une différence d’être. Ta mâchoire se serre et tu refuses de reculer face à elle, donc tu essaies de répondre, sans faire entendre la même colère qu’avant.

« Je veux que tu ouvres les yeux. Tu réponds, clairement, sans faire de fioriture. Ca me dégoute de voir des gens brider leur liberté pour des règles stupides qu’ils n’ont pas choisi. Que ce soit des humains ou pas. En fait tu parviens pas à être plus clair que ça, mais tu tiques sur une de ces phrases. Vous n’êtes pas plus sages, vous êtes juste plus obéissants si tu veux mon avis. La sagesse serait plutôt de se rendre compte qu’on ne peut pas ou ne veut pas obéir à tout aveuglément. T’es vache, mais le pire c’est que tu le penses vraiment, t’es comme ça. Tu n’as rien minimiser, tu… n’arrives pas à comprendre. »

Wow, c’est toi, là, qui la rassure, vraiment ? Ca ne te ressemble pas, et ca devrait déjà te mettre la puce à l’oreille que t’es bien trop impliqué dans son histoire de famille. Le truc, tu vois, c’est que tu ne t’en rends pas compte, alors tu fais un pas vers elle, sans le voir, et tout en réfléchissant, et tu essaies de l’aider à se projeter dans tes explications.

« Imagine… Imagine que tu tombes amoureuse. C’est possible, non, même pour ton espèce ? En vérité t’y connais pas grand chose mais quand t’étais sur leur planète t’as vu des honnêtes gens qui semblaient véritablement ressentir ce sentiment. Que ce soit de quelqu’un, d’un métier, d’une facon de vivre, hein. J’suis pas fleur bleue non plus. Tes moeurs que t’acceptent sans réfléchir, te priverait de tout ça. De ce sentiment si fort que tu as l’impression de vivre pour la première fois depuis toujours. Tes yeux s’accrochent aux siens. Comment on peut accepter de renoncer à ça pour des règles stupides d’une communauté ? »

En fait, t’es vraiment pas certain qu’elle arrive à voir ça, parce qu’elle l’a surement jamais rencontré. Ceci dit, c’est elle qui se disait sage, alors t’essaies, sans voir que t’abaisses largement tes défenses, là. T’es calme, sincère. T’es humain, ouais.

Et dire que c’est toi, Maleki, qui te retrouve à parler d’amour et de volonté de vivre pour ce sentiment. C’est quand même fou, quand on y pense, parce que toi, l’amour et tout ce genre de truc, c’est probablement ce qui te fait le plus flippé au monde maintenant. T’as déjà goûté à ce fruit. T’en as vu la beauté et la puissance avant qu’on ne t’arrache tout presque aussi vite. Et là, c’est la douleur qui est resté. Ca t’a refroidi, et il est certain que ce vieux caractère de con que tu as, ça vient en partie de là. C’est ta protection.

Du coup, oui, c’est bizarre que tu prononces de tels mots face à elle, en approchant d’un pas, tes yeux dans les siens. Et s’ils n’y avaient qu’une sorte de conflit brûlant entre vous, avant, tu la vois véritablement t’écouter. Tu la sens essayer de comprendre, peut-être se projeter et imaginer et tu suis l’avancement du processus dans ses prunelles. Quand elle te répond, tu pourrais presque soupirer de soulagement, parce que tu as réussi. Enfin… tu crois.

« On ne peut pas. Ou si on le fait, on en porte la blessure béante toute sa vie. »

T’as même pas besoin de rajouter un vieux “crois-moi”, pour lui faire comprendre que tu sais de quoi tu parles, parce que c’est inscrit sur ton visage. Un relent de douleur, aussi ancienne qu’intacte, qui te pousse à finalement rompre l’échange visuel pour détourner le visage et cacher ce que tu ne peux pas ravaler. Tu refuses qu’elle te croit faible. Tu refuses d’en parler. T’as honte, en vérité.

« J’imagine qu’une part de moi te souhaite de ne jamais connaître ça, si tu tiens tant à honorer les préceptes de ta famille et de ton peuple. Tu finis par reprendre, d’une voix basse, qui se veut le plus plate et sans émotion possible. Comme je considère que tu ne te seras jamais vraiment rencontrée toi-même, si tu ne connais pas cette émotion une fois dans ta vie. Et je ne dis pas ça pour te manquer de respect ou te provoquer. Tu as repris les rênes de ton visage et tu oses revenir l’observer à nouveau, pour la laisser comprendre que tu ne mens pas. Mais on ne s’est pas vu clairement soi-même avant de voir son propre reflet dans les yeux d’un autre qui nous voit clairement. »

Depuis quand t’es capable d’être presque un poète toi ? Nan parce que ca sonne mièvre à tes oreilles et ça devrait te donner envie de vomir, mais tout ce que ça t’évoque, sur le coup, c’est ce besoin irrépressible de t’enfuir pour te retrouver seul avec tes émotions et tes souvenirs. Tu finis par chasser cela d’un gros soupir avant de l’interroger directement, plutôt que de prendre la tangente.

« Ai-je répondu à tes questionnements ? Est-ce que c’est clair pour toi ? Comment t’es passé d’autant de mépris à tant de politesse en si peu de temps ? Veux-tu demander une réaffections ? »

Tu te loupes complètement sur le lâcher prise ou la volonté de ne pas t’impliquer émotionnellement. Et si tu oses croire qu’elle ne le remarquera pas ou qu’elle ne te posera pas de question, tu t’enfonces le doigt dans l’oeil jusqu’au coude. Du coup, ouais, t’as beau te détourner, essayer de fuir son regard et ravaler ce qui te fait du mal, ce qui n’a jamais vraiment cicatrisé, tu te rends rapidement compte que tu t’es loupé. Et elle fait une remarque, que t’espères juste pouvoir ignorer. Sauf que vient une question, et toi tu grognes sans la regarder. T’en es tout bonnement incapable là.

« Ca n’a pas d’importance, ce qui compte, c’est ce que tu feras le moment venu. »

Tu lui opposes, en redirigeant l’attention et les questions sur elle. Et finalement tu préfères savoir ce qu’elle va faire, si elle a compris, si tu dois encore continuer de lui parler en prenant le risque de passer pour un faible. Tu détestes paraître faible, oh oui… C’est pour ça que tu préfères t’interesser à ses réponses et finalement quand tu apprends qu’elle a changé d’avis, tu hoches la tête, sans lui offrir ton regard directement.

« Bien. On fera en sorte de coopérer. C’est reconnaître que tu vas faire des efforts ça. Ceci dit, avec toute cette parlotte, je dois te laisser déjà, j’ai une réunion avec mon supérieur pour notre prochaine mission. »

Ce n’est pas pour tout de suite, mais tu as besoin de fuir. Maintenant. Alors tu te tournes enfin face à elle, ta tête se ploie pour la saluer poliment.

« Bienvenue dans l’équipe, Rayven. Et tu prends la poudre d’escampette. »