Retrouver la trace de la flotte n'avait finalement pas été aussi complexe que tu l'aurais imaginé. Si tu t'étais tenue assez loin des affaires de l'Alliance de façon évidemment tout à fait involontaire jusqu'à la mort de Kal, à partir du moment où tu avais commencé à gratter pour obtenir des informations, c'est comme si elles s'étaient mises à pleuvoir. De toute évidence, à bord des vaisseaux de l'Alliance, les choses avaient bien changées, les problèmes avaient l'air de s'être enchaînée à la vitesse de la lumière : l'Union, l'Empire Rahirien, la guerre, les pirates et deux vaisseaux abattus, voilà ce qui était plus ou moins ressorti de tout ce que tu avais pu obtenir, et évidemment, tu t'étais empressée de chercher à savoir quels vaisseaux, précisément, avaient été abattus. L'espace d'un moment, tu avais pensé que la seconde flotte avait pu être touchée, que l'Alizé avait pu être perdu mais les précisions t'avaient égoïstement rassurée.

Ne restait plus finalement qu'à tenter d'atteindre Garviel d'une manière ou d'une autre. Un soldat aurait probablement été plus simple à contacter, il t'aurait suffit de rejoindre une planète durant une mission en cours et tu aurais bien trouvé le moyen de faire parvenir ton message … Mais Garviel était pilote, l'un de ceux qui ne touchaient pratiquement jamais la terre ferme, qui restaient généralement en vol tout le long d'une mission si ce n'est parfois pour déposer les soldats et les récupérer avec la navette. Impossible pour toi de profiter d'une mission, le seul moyen que tu avais de contacter le plus jeune des Vector, c'était de monter à bord de la flotte et encore une fois, cela représentait un défi de taille. Tu le savais Valeria, il était inutile d'espérer monter à bord de l'Alizé en douce, tout était bien trop sécurisé. Le Nexus en revanche était à ta portée, et mine de rien, après bien des années à servir la flotte, à arpenter l'Alizé, mais aussi le Nexus, tu avais là-bas quelques connaissances prêtes à te croire.

Tu avais pris avec une jeune femme qui travaillait comme serveuse, si vous n'aviez jamais été amies - des amis, tu n'en avais pas, pratiquement pas - elle te connaissait bien, elle n'avait eu aucun mal à te croire lorsque tu lui avais expliquer que ta pseudo désertion cachait autre chose de bien plus gros et elle avait accepté de t'aider en se servant de son large panel de contacts. C'est elle qui t'avait renseigné quand à la présence de Garviel, ce jour-là, sur le Nexus, elle aussi qui avait fait en sorte de retarder la tâche qui lui avait été confiée afin qu'il reste un peu plus que prévu à bord du Nexus. Ca avait été elle, aussi, qui avait tout organisé afin que tu puisses monter à bord et tu avais fait profil bas toute la journée afin de rabattre la capuche large sur tes cheveux pour t'engager dans le quartier civil.

Il avait suffit que tu suives les indications de la jeune femme pour dénicher le pilote, installé avec une boisson dans l'un des parcs du vaisseau mère, tu soupires. Oh, tu sais que ça ne risque pas d'être simple, tu connais assez Garviel pour savoir que maintenant, il doit t'en vouloir et que ton départ l'a très certainement blessé. Si tu lui en avais parlé, Valeria, tu sais qu'il aurait tout fait pour t'empêcher de partir et c'est pour cette raison précise que tu lui as tourné le dos sans une explication. Avec le recul, tu te doutes qu'une lettre n'aurait pas été de trop, mais tu n'en avais pas eu la force, pour une fois dans ta vie, tu avais effectivement manqué de courage. Quoi qu'il en soit, tu finis par t'avancer, entrer dans le parc et sans un mot dans un premier temps, tu viens t'asseoir à ses côtés, avec ta capuche, tu n'es probablement pas reconnaissable, il faudrait qu'il soit face à toi pour entrevoir ton visage. Du coup, après quelques secondes, tu décides d'ouvrir la bouche. « Reste naturel et évite d'élever la voix maintenant. Tu te doutes bien que je ne suis pas censée être là. » Et puis tu tournes un peu la tête dans sa direction, ton visage arbore une mine atrocement neutre, tu as l'air sans émotion, égale à toi-même en somme mais ceux qui te connaissent savent que ça n'a toujours qu'un masque parfaitement construit. « Bonjour, Garviel. »

Comment est-ce que tu es censé faire, hein ? Il n'y a pas de bon moyen à tes yeux, et pourtant Valeria, tu as retourné le problème dans tous les sens possibles. Tu aurais probablement pu sonder, prendre la température en faisant parvenir un simple message, mais tu craignais que ce dernier ne puisse être intercepté … c'aurait été un beau raté, non seulement parce qu'il n'en aurait finalement jamais vu la couleur, mais aussi parce que ça aurait mis l'ARA sur ta piste. Tu as fait au mieux, Valeria, et pour le coup, il n'y avait pas de technique sécuritaire pour vous deux. Tu as pris des risques.

Puisque tu n'as jamais été de ceux qui tournent autour du pot, tu ne reste pas bien longtemps à l'écart, à simplement l'observer. Tu ne veux pas perdre l'occasion de pouvoir l'aborder, même si tu sais qu'il a du temps pour l'instant, tu ne veux prendre aucun risque supplémentaire et tu sais que tu ne peux pas te permettre de manquer cette occasion. Bien trop de choses en dépendent. En quelques secondes, te voilà sur le banc, l'instant d'après tu as ouvert la bouche pour lui adresser la parole et maintenant, tu sais que tu ne peux plus faire marche arrière. Tu avais disparu, et s'il aurait peut-être été bien plus simple pour tout le monde que tu le reste, toi, tu as décidé de revenir là où jadis était ta place.

La première réaction du pilote est surprenante, mais tu n'ajoutes rien, tu te contentes de le laisser assimiler l'information, doucement mais sûrement, tu résistes à l'envie de lever la main pour attraper la sienne tandis que ses doigts effleurent ta joue dans un geste indécis, presque comme s'il s'assurait que tu n'es pas un fantôme revenu pour le hanter. « C'est moi. » Toujours aussi pragmatique, aussi peu loquace, on se souviendra Valeria que tu n'as jamais été du genre à parler pour rien dire, et pourtant tu te rends bien compte qu'aujourd'hui, il y aurait tant à dire sans que tu n'aies réellement le temps pour de telles explications. Et encore une fois, tu te contentes de le laisser accepter, comprendre, accuser le coup aussi sans doute. Il ne s'attendait très certainement pas à te voir aujourd'hui … « Je ne peux pas rester dans les parages trop longtemps, pas pour l'instant. » Alors bien sûr que tu vas repartir, et qu'après cette discussion vous allez devoir vous séparer à nouveau. « L'ARA est à ma recherche. » Il n'est pas sans le savoir, connaissant les méthodes des services de renseignement de l'Alliance, il a dû être interrogé à ton sujet, et pas qu'une fois. De fait, tu ne peux pas te permettre de rester dans les parages, quand bien même tu es douée pour te cacher, il y a des risques que tu ne peux pas prendre de manière inconsidérée.

Et finalement, tu quittes le banc à ton tour pour te mettre debout, sans tenter de l'approcher pour autant. « Je suis ici pour laver ma réputation et mon dossier. Je suis partie uniquement parce que c'était le seul moyen d'éloigner Kal et la menace qu'il représentait pour ta vie. » Il sait quel entraînement avait reçu cet homme. Le même que le tien. Et il sait à quel point tu es douée pour bien des choses, il sait que tu n'aurais pas grande difficulté à l'éliminer si c'est ce que tu voulais, et toi, tu doutais d'être de taille à le protéger contre une telle menace. Lutter contre ton égal ? Oui. Protéger quelqu'un de lui ? Impossible. « Il est mort. Je suis revenue immédiatement après en avoir été débarrassée. »

Tu connais bien Garviel. Pour tout un tas de raisons, la première étant que tu l'as côtoyé de près durant de nombreuses années, tu connais le pilote par coeur ses réactions. Ca faisait partie de ton travail d'apprendre à l'anticiper, et force est de constater que tu n'as perdu la main parce que tu te doutais bien que tu aurais à faire face à cette perte de moyen dissimulée tant bien que mal, à cette colère, à ces paroles pleines de ressentiments évidemment, mais aussi, et surtout : aux questionnements. Il veut des explications et si tu avais prévu qu'il en réclame, tu n'avais pas prévu de te sentir obligée de lui en fournir, toi qui voulait perdre le moins de temps possible et qui avait pensé pouvoir tout mettre au clair lorsque ta situation serait plus confortable, tu te rends compte que ce n'est certainement pas comme ça que les choses fonctionnement.

Un nouveau soupir, plus lourd cette fois, s'échappe d'entre tes lèvres et tu lèves les yeux au ciel, manquant assurément de patience face à Garviel. Tu ne sais pas pourquoi, Valeria, mais malgré ton départ, malgré ton absence ces deux dernières années, tu avais pensé que le pilote avait acquis assez de confiance en toi pour ne pas s'imaginer que tu étais partie par … simple caprice, ou par amusement. Si tu peux comprendre qu'il soit blessé, oui, tu aurais pensé qu'il se montrerait plus ouvert, plus enclin à t'écouter et à accepter tes paroles seulement, tu as devant toi un mur qui en plus s'amuse à te balancer des reproches en pleine figure, autant dire que tu ne le prends pas très bien.

« Absolument rien. » Oh, tu avais toujours su que Kal nourrissait des sentiments pour toi, il ne l'avait jamais caché, l'avait même plus ou moins laissé clairement entendre il y a deux années. Seulement, il avait rapidement compris que tu ne voudrais jamais de lui, pire, il avait compris en un éclair ce qui se tramait entre toi et l'homme que tu protégeais et c'est pour cette raison qu'il avait exigé ta présence avec lui, ton départ de la flotte en menaçant la vie Garviel. Il savait qu'il ferait d'une pierre deux coups de cette façon-là, qu'il toucherait Garviel, et à la fois, qu'il t'empêcherait de te rapprocher d'un autre homme que lui. Un plan brillant, en réalité, s'il ne pouvait t'avoir, il avait décrété que personne ne le pourrait. « Il a simplement cherché à nous atteindre tous les deux d'une manière ou d'une autre. »

La remarque suivante te fait serrer les poings. Pensait-il vraiment que tu n'avais pas essayé ? Fuir et lui fausser compagnie n'était pas une option envisageable, il aurait eu tôt fait d'en revenir à Garviel pour lui faire la peau. Quant à l'idée de le tuer de tes mains, elle t'étais passée par la tête à de nombreuses reprises, toutes tes tentatives avaient été vaines. Tu avais échoué. Oui, tu étais forte, Valeria, oui tu pouvais venir à bout de pas mal de soldats de la flotte, c'était un fait, mais faire face à un gardien aussi surentraîné que tu l'étais … c'était autre chose. « Je n'y suis pas parvenue. Kal était beaucoup de choses mais il était loin d'être idiot, et il me connaissait bien. Il savait que je tenterais, il a fait en sorte de se protéger efficacement. Il a fallu que d'autres parviennent à l'avoir, par surprise. »

Tu croises les bras sur ta poitrine maintenant. Tu ne sais toujours pas comment t'y prendre pour prouver ta bonne foi à l'ARA, et le plan du pilote ne te plait pas des masses. « Tu veux sérieusement que je débarque de façon frontale chez Grims pour lui expliquer ma version ? » Tu peux comprendre qu'il n'ait plus envie de faire face aux questions insistantes de Grims, mais de ton côté, cet homme ne te fais pas peur, la seule chose qui t'effraie chez lui, c'est le pouvoir qu'il possède. « Grims est imprévisible, dois-je te rappeler qu'il est celui qui a jeté Turner en prison ? » Tu détournes les yeux. « J'ai contacté l'Agent Dixon … elle m'a raconté pas mal de choses. Je n'ai pas confiance en Grims. » Swann Dixon n'était pas proche de toi, ce n'était qu'une connaissance lointaine, à l'époque, elle avait été Agent de Liaison, puis elle avait disparue de l'Alizé et lorsque tu avais appris qu'elle avait été intégrée à l'ARA, tu avais commencé à te dire que c'était probablement la personne à contacter. « Contrairement à ce que tu sembles penser, cet homme n'est pas omniscient. J'ai été prudente. Si tu veux qu'on fasse ça à ta manière, j'ai besoin de garanties … Je veux que l'Agent Dixon soit présente, elle saura plaider correctement ma cause. »

Probablement qu'aucun de vous deux ne passe un bon moment, actuellement. L'Alliance est une organisation complexe, et par-dessus tout : méfiante. De ce fait, tu aurais probablement eu plus de chance si tu avais pris la fuite, si tu t'étais définitivement éloignée de tout ce que ton « ancienne vie » pouvait représenter. C'est ce qu'aurait fait n'importe qui d'autre, certainement, mais pour toi c'est différent. Tu n'as pas de famille, pas d'attache extérieure, tout ce que tu n'as jamais posséder se trouvait sur cette flotte, sur l'Alizé, et le jour où tu as pris la lourde de décision de tourner le dos à tout, de tout sacrifier pour sauver la vie de Garviel, tu as littéralement tout perdu. De ce fait, à tes yeux, ta seule issue est le retour, la réhabilitation, quand bien même tu sais parfaitement que ce ne sera pas évident.

Bien vite, tu comprends d'où vient le problème … C'est une chose à laquelle tu n'avais pas pensé, Valeria, si tu as su anticiper pas mal de choses en partant, tu n'as pas pensé à Grims, tu n'as pas imaginé qu'il pourrait à ce point mettre la pression sur le pilote et pourtant, aujourd'hui, avec les informations que tu possèdes et les explications fournies par l'Agent Dixon, tu comprends que tu aurais dû placer ça dans l'équation qui a déterminé ta décision. « Grims est doué dans ce qu'il fait, ce n'est pas pour rien qu'il est sur tous les gros coups. » Un agent efficace, il faut bien le reconnaître, c'est la personne qu'il faut craindre quand on envisage de trahir l'Alliance ou d'aller contre ses lois. Pour autant, toi, tu n'as jamais été du genre à te laisser impressionner, tu as reçu un entraînement pour ça, tu sais résister à ce genre méthode. Le hic, Valeria, c'est que ce n'est pas toi qui a eu à le subir, et Garviel, lui, est loin d'avoir ton entraînement.

« J'ai fourni tout ce que je pouvais à l'Agent Dixon, je ne sais pas encore ce qu'elle compte faire de tout ça … Prends contact avec elle, si tu veux, et si tu as besoin de preuves toi aussi. » Honnêtement, tu ne sais pas quoi ajouter de plus, tout ce que tu voulais en venant ici, c'est amorcer un contact et faire comprendre au pilote que tu étais - enfin - de retour dans son sillage, bien que les choses aient évidemment bien changées en deux ans, tu ne pouvais simplement pas te résoudre à tourner le dos à Garviel de façon définitive. « Selon l'Agent Dixon, Kal s'est servi de nombreux contacts à bord pour arriver jusqu'à toi. Beaucoup de ces contacts ont été mis sous les verrous par Grims lui-même, le problème, c'est que Kal à pris la fuite au bon moment, il ne sera pas facile de lui faire entendre que quelqu'un a pu lui échapper. » Cela dit, tu n'as rien d'autre à proposer, soyons honnête, cette fois, tu n'as pas de plan en tête, rien de suffisamment bien ficelé pour que tu sois certaine que ça fonctionne et … Oui. Il va bien falloir que tu acceptes que tu as réellement besoin d'aide et que tu ne pourras rien faire toute seule. « Je suis désolée … Que tu aies à vivre ça, à nouveau. »

Tu n'es probablement pas assez entourée, mais au moins tu as l'impression de l'être efficacement. Tu sais que Garviel ne te tourneras pas le dos, peu importe ce qu'il peut avoir contre toi, ce qu'il peut avoir comme reproches à te faire, jamais il ne laissera l'ARA, l'Alliance, ou qui que ce soit d'autre te balancer en prison sans ménagement, tu le sais, tu n'as pas perdu une once de ta confiance envers le pilote. Quand à l'agent Dixon, tu la sais particulièrement fiable et efficace, c'est quelqu'un de bien, tu le découvres davantage depuis que tu as eu le courage de lui réclamer un peu d'aide, même si c'était risqué de le faire maintenant que tu sais qu'elle a les deux pieds dans l'ARA. « Tu crois Dixon parfaitement fidèle à Grims ? » Impossible de ton point de vue, et tu l'as compris plus encore lorsque cette dernière t'as mise au parfum de diverses choses s'étant déroulées pendant ton absence. « Elle ne dira rien à Grims. Elle sait parfaitement, et mieux que beaucoup sur cette flotte, de quoi cet homme est capable … » Et surtout, elle sait que si elle peut lui réclamer son indulgence pour toi, il pourrait décider de se servir de ton cas pour toute autre chose, d'après elle, ne serait pas la première fois.

Avant de lui emboîter le pas en direction des hangars, tu remets correctement en place la capuche large qui cache tes cheveux, et surtout ton visage, tu avances tête légèrement baissée pour empêcher quiconque pourrais-tu croiser de te reconnaître, et tu marches aux côtés du pilote, silencieuse dans un premier temps. « Avoir un accès à l'Alizé serait … idéal. Cependant, c'est plus surveillé que le Nexus, et il est surtout moins évident de s'y cacher efficacement. » Tu aimerais, pourtant remonter à bord de ce vaisseau qui a été ta maison durant des années, retrouver tes marques, mais ce caprice est un risque que tu ne peux prendre, néanmoins, tu peux te permettre de rester à bord du vaisseau mère, le moment venu, tu pourras accéder à l'Alizé. « Te suivre est trop risqué, je ne serais pas loin… » Tu préfères l'assurer, simplement parce que tu étais loin, justement, ces deux dernières années, et que tu ne comptes pas t'éloigner à nouveau.

C'est ce baiser déposé sur tes lèvres qui te fais comprendre plus encore que le suivre n'est pas une bonne idée. Vous êtes vulnérables si vous êtes trop proches, parce que de toute évidence, la distance n'est pas venue entacher vos sentiments. Avoir accès l'un à l'autre, c'est risqué de céder à l'envie de se voir trop souvent, ce serait une mauvaise idée. Ce serait la porte ouverte pour vous coincer tous les deux, vous accuser de haute trahison et vous balancer dans une cellule sans ménagement. « Tu m'as manqué aussi … » Tu lui offres ton tout premier sourire, depuis le début de ces retrouvailles étranges. « Bientôt, tout sera de nouveau comme avant … Et si tu veux, on reprendra tout là où on s'était arrêté. »